Facteurs déterminant l’implication des opérateurs dans une politique de stockage incitative : Cas du dispositif de régulation Syrpalac en Algérie.


Abstract

In 2008, public authorities in Algeria created the “Syrpalac” mechanism in order to reduce price fluctuation of consumption potatoes. The mechanism calls private storage operators for the constitution of the stocks of regulation. It is a voluntary policy, whose success is depending on the effective implication of these storage operators. Our research consists on identifying factors that determine the implication of the storage operators to Syrpalac. Our results show that these factors are the perception of financial incentive, the profit margin, the diversification of the storage operators, the production area, the volumes and the mode of storage. They suggest that policy improvements are possible, which will help the regulatory authority.

DOI: 10.30682/nm1901f

Salim Hitouche*, Hai-Vu Pham**, Fatima Brabez*

* ENSA – Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie, Alger, Algérie.

** IUMR CESAER AGROSUP, Dijon, France.

Corresponding author: s.hitouche@ensa.dz

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Cite this Item: Hitouche S., Pham H., Brabez F., Facteurs déterminant l’implication des opérateurs dans une politique de stockage incitative : Cas du dispositif de régulation Syrpalac en Algérie,  New Medit, 18 (1): pp. 65-78, http://dx.doi.org/10.30682/nm1901f


Introduction

L’instabilité des prix agricoles perturbe l’affectation optimale des ressources (Smith, 1997) et cause de sérieux problèmes socioéconomiques (Jayne, 2012). Dans les pays en développement, c’est une source d’insécurité alimentaire (Minot, 2014). Nombreux sont les pays qui mettent en place des mécanismes de régulation publics pour parer aux instabilités des produits jugés stratégiques (Araujo Bonjean et Boussard, 1999). Mêmes les pays développés, tels que les Etats-Unis et les Etats membres de l’Union Européenne, avaient déjà expérimenté ce type de régulation (He et Westerhoff, 2005). Cette politique est aussi utilisée par les pays asiatiques qui, grâce à la mise en place des stocks de régulation, ont réussi à protéger leurs prix intérieurs des fluctuations internationales (Galtier et al., 2012).

L’Etat algérien ne fait pas exception. Dans le but de réduire les fluctuations des prix de la pomme de terre de consommation, il a mis en place un dispositif de régulation dénommé SYRPALAC, ce qui signifie Système de régulation des produits de large consommation. Le dispositif a été créé en Août 2008, sous la pression des agriculteurs, pour amortir la chute brutale des prix de la pomme de terre de consommation.

L’objectif du Syrpalac est d’éponger la production supplémentaire par le stockage en période de forte production et de la remettre sur le marché en période de soudure. Comme les capacités de stockage publiques sont limitées, les pouvoirs publics font appel à des opérateurs stockeurs privés. C’est un dispositif volontaire.

Les établissements de stockage privés – producteurs pour la plupart – ont la liberté de s’y impliquer ou pas. Selon les conditions prédéfinies par le dispositif, ils adhèrent au Syrpalac lorsqu’ils y trouvent leurs intérêts et n’adhérent pas dans le cas contraire (Laffont, 2006).

Dans une perspective d’amélioration de ce dispositif, nous étudions les facteurs déterminant l’implication des opérateurs privés. A travers une série d’enquêtes de terrain, nous identifions les facteurs susceptibles d’impacter la décision d’implication exclusive des établissements de stockage adhérents au Syrpalac.

Le texte est composé de 3 sections. Dans la première section nous passons en revue les caractéristiques de la culture de la pomme de terre et son importance pour l’économie algérienne ainsi que le dispositif de régulation Syrpalac. La deuxième section présente la méthodologie utilisée dans notre recherche. Dans la troisième section, nous exposons nos résultats dont les facteurs déterminant l’implication exclusive des opérateurs stockeurs dans le dispositif Syrpalac, la discussion des résultats et les implications politiques.

1. La pomme de terre en Algérie et sa régulation

1.1. Les principaux indicateurs

La consommation de la pomme de terre en Algérie avoisine les 100 Kg/habitant/an. Elle fait l’objet des débats en tant que produit de large consommation. Elle occupe environ 150 mille hectares par an pour une production de 4,5 million de tonnes, ce qui la place comme étant la culture maraîchère la plus importante en superficie. Elle procure environ 62 000 emplois directs quasi permanents.

Les conditions pédoclimatiques algériennes permettent la production de la pomme de terre tout au long de l’année mais avec des flux de production très irréguliers. Nous distinguons une production de saison très abondante où l’offre dépasse largement la demande, elle représente plus de 55% de la production annuelle et elle est fournie en sa totalité entre les mois de Juin à fin Septembre. Une arrière-saison où l’offre dépasse aussi la demande mais avec des quantités moins importantes que la saison, soit environ 35 à 40% de la production annuelle, elle est fournie entre les mois de Décembre et Février. Enfin, une production de primeur et d’extra-primeur (2 à 5% de la production annuelle) où l’offre est très faible.

En effet, comme nous le constatons dans la Figure 1, la production de saison dégage un surplus d’offre de trois mois et celle de l’arrière-saison dégage un surplus de deux mois.

1.2. Le besoin de stockage de régulation

Malgré l’importance des superficies de la pomme de terre et l’augmentation relative de la production, les prix de la pomme de terre restent structurellement instables. L’une des méthodes les plus utilisées pour réduire cette instabilité est la constitution des stocks tampons et/ou de régulation (Boussard et al., 2015; Kornher et Kalkuhl, 2013). Les stocks de régulation sont constitués en périodes de récolte et remis sur le marché en période de soudure.

Les Figures 2 et 3 montrent respectivement, l’évolution des prix mensuels moyens et l’indice des prix mensuels de la pomme de terre à la consommation pour la période de 2001-2016. Ces prix sont communiqués par l’office national des statistiques (ONS) et sont calculés à partir de la moyenne nationale des prix mensuels.

La Figure 2 montre les fluctuations saisonnières des prix de la pomme de terre, qui est une spécificité des produits agricoles (Wilson et Thompson, 2003). Ces fluctuations affectent le revenu des producteurs-stockeurs (Laajimi et Gasmi, 2007) particulièrement, en périodes de saison (Mai-Juillet) et d’arrière-saison (Décembre-Janvier). En périodes de soudure (Février-Mars et Octobre-Novembre) les prix sont relativement élevés.

En revanche, nous remarquons, dans la Figure 3, que l’indice des prix mensuels présente des fluctuations très marquées au courant de la période 2001-2016. Ce qui est problématique car les instabilités des prix sont souvent matérialisées par des périodes de crises, d’où la nécessité de réguler les prix de la pomme de terre de consommation (Cordier et Gohin, 2014).

C’est dans ce contexte que le dispositif Syrpalac a été créé et maintenu afin de réguler le marché et d’inciter les établissements de stockage à constituer des stocks de régulation. Les éléments historiques ci-dessus justifient alors sa création.

1.3. Le dispositif Syrpalac: objet et évolution

Le principal objectif du dispositif Syrpalac est la constitution d’un stock de régulation en période de récolte pour le remettre sur le marché en période de soudure. Le Syrpalac est mis en place en saison 2008. Depuis, il est reconduit chaque année dans le but de préserver les revenus des agriculteurs et de protéger le pouvoir d’achat des consommateurs. Actuellement, il est le fer de lance de la politique de renouveau de l’économie agricole.

1.3.1. Mécanisme d’incitations

A travers le dispositif Syrpalac, le MADRP a adopté un ensemble de mesures incitatives à destination des opérateurs stockeurs pour les inciter à s’impliquer dans la constitution des stocks de régulation. Les plus importantes sont : La prime de stockage, la fixation d’un prix plancher, la prise en charge des frais d’assurance et le dédommagement en cas de perte.

Depuis la campagne 2012-2013, le ministère s’est déchargé de la gestion directe du dispositif Syrpalac, l’ONILEV est devenu l’autorité de régulation du marché de la pomme de terre. Il assure la constitution des stocks de régulation et incite les opérateurs stockeurs à y participer, en contrepartie d’une prime incitation financière attribuée sous forme de subvention. La prime est de l’ordre de 1,8 Dinars/Kg/mois.

1.3.2. Modes de gestion

Le principe incitatif étant resté invariable, le mode de gestion du dispositif Syrpalac a été revu plusieurs fois. En 2008, le mode gestion était une gestion directe, assurée par le ministère de l’agriculture à travers des structures décentralisées au niveau des wilayas (équivalent aux départements français). Ensuite, entre 2009 et 2012 la gestion a été transférée à la SGP PRODA : une entreprise publique qui l’assume en collaboration avec les services agricoles.

Depuis 2012, la gestion est assurée par l’ONILEV : un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) sous la tutelle du ministère de l’agriculture.

1.3.3. Gestion par l’ONILEV : Situation actuelle

L’ONILEV a été créé par décret exécutif n. 09 – 309 du 23 Septembre 2009 dans la continuité de la loi n. 08 – 16 du 03 Aout 2008 régissant les éléments d’orientation de l’agriculture nationale et de la sécurité alimentaire, notamment par l’organisation de l’interprofession agricole (article 64), et il est affilié au MADRP. L’ONILEV qui est actuellement en charge de la régulation.

Le Syrpalac, sous la coupe de l’ONILEV a connu un changement de taille. La direction de l’ONILEV a mis en place un réseau de délégués au niveau des zones ayant un fort potentiel en matière de production et de stockage de la pomme de terre de consommation. Les délégués travaillent en collaboration avec tous les partenaires institutionnels concernés par la filière pomme de terre.

Le schéma ci-dessous montre le principe de fonctionnement du Syrpalac sous la responsabilité de l’ONILEV :

– la procédure d’adhésion au dispositif Syrpalac : Un choix libre des organismes stockeurs

Avant chaque début de campagne de production (saison et/ou arrière-saison), l’ONILEV invite les établissements de stockage à déposer leur demande d’adhésion dans le dispositif Syrpalac. Après étude des dossiers et suivant le programme prédéfini par le ministère, chaque établissement retenu reçoit sa convention de stockage dans laquelle est mentionné la campagne en question, la quantité à stocker, les chambres froides concernées et le mode de stockage (filet, palox et caisse).

– le système de contrôle

La commission mixte, constituée d’un représentant de l’ONILEV (responsable) et des membres de la profession agricole au niveau de la wilaya concernée, effectue trois contrôles obligatoires : avant, après le remplissage des chambres froides et le troisième après le déstockage.

Le tableau ci-dessous résume les principaux indicateurs du dispositif Syrpalac.

Dans ce contexte nous avons cherché à analyser et à caractériser les principaux facteurs qui influencent la décision d’implication des établissements de stockage dans le dispositif Syrpalac. La méthodologie qui repose sur des enquêtes directives et semi-directives va être présentée ci-dessous.

2. Matériels et méthodologie

2.1. Méthodologie

Nous avons réalisé une enquête directive et semi-directive par questionnaire auprès de 60 établissements stockeurs adhérant dans le Syrpalac. La période d’enquête est entre Août et Septembre 2016. Notre échantillon représente 25,53% des établissements qui ont adhéré au moins une fois dans le dispositif Syrpalac. Ils correspondent à 75% des établissements adhérents en saison 2016 et à 44,35% de la quantité stockée en saison 2015. Nous avons utilisé un questionnaire détaillé qui permet de se renseigner sur un ensemble de variables susceptibles d’impacter leur choix d’implication.

Pour atteindre la population cible, et par manque d’une base de sondage, nous avons opté pour une combinaison entre un sondage aléatoire et un sondage en boule de neige, nous avons tiré trois établissements de stockage d’une manière aléatoire et nous avons demandé à chaque établissement de nous donner les coordonnées des établissements qu’il connaisse et ainsi de suite (Seymour et Graham, 1986).

Le choix de la méthode permet de surpasser la difficulté d’atteindre les établissements de stockage encore en activité. En effet, certains ont changé d’activité suite aux nouvelles restrictions techniques imposées par l’ONILEV, d’autres sont carrément fictifs.

Notre travail consiste ensuite à déceler les principaux facteurs de motivation qui influencent la volonté d’adhésion des établissements stockeurs dans le dispositif Syrpalac. Pour cela, nous distinguons deux catégories d’établissements : (1) ceux qui mettent tous leurs moyens humains et matériels au profil du dispositif Syrpalac et (2) ceux qui consacrent seulement une partie à la constitution des stocks de régulation.

Afin de caractériser les facteurs déterminant l’implication exclusive des établissements stockeurs dans le dispositif Syrpalac, nous avons utilisé les résultats empiriques des recherches existantes concernant les facteurs qui influencent la décision des agents économiques (Füsun Tatlidil et al., 2009). Nous nous sommes inspirés, notamment des travaux de (Xiong et Luo, 2011) où ils ont associé la taille des exploitations et le taux de marge à la décision de production. Des travaux de (Eltawil et al., 2006) qui ont illustré l’importance de l’amélioration des conditions de stockage de la pomme de terre pour la préservation de sa qualité et de sa valeur commerciale. Ceux de (Ayel et al., 2013) qui préconisent d’optimiser les incitations financière au stockage privé pour réduire les coûts de stockage. Et nous les avons renforcés par des facteurs liés à l’intuition théorique de (Laffont, 2006) qui stipule que la qualité des interactions entre les contractants influence la décision des opérateurs économiques. Nous tentons alors de les confronter à la réalité de terrain.

2.2. Les variables utilisées

Le Tableau 3 résume les variables de contrôle utilisées et les statistiques descriptives de l’échantillon étudié. Pour faciliter l’analyse nous avons regroupé les variables explicatives utilisées en catégories : Les variables économiques sont représentées par la capacité de stockage, la différence de prix entre la pomme de terre fraîche et la pomme de terre stockée, la satisfaction de la marge bénéficiaire et le stockage d’autres produits agricoles que la pomme de terre. La variable géographique est représentée par l’appartenance à l’un des bassins de production étudiés. Les variables techniques concernent la possession des moyens de stockage conformes aux normes de stockage de la pomme de terre, le mode de stockage le plus abondant et le choix des variétés spécifiques au stockage. Les variables liées aux incitations sont représentées par l’appréciation de la prime de stockage et la valeur de l’incitation financière souhaitée par les établissements enquêtés. Enfin, les variables liées aux interactions entre les contractants sont représentées par le partage d’informations entre les établissements de stockage et la qualité de leur relation avec les représentants des pouvoirs publics.

L’analyse descriptive de la variable dépendante indique que 75% des établissements enquêtés ne sont pas exclusifs avec le Syrpalac et seulement 25% le sont.

En ce qui concerne les variables explicatives, à premier abord la différence entre les établissements exclusifs et les autres n’est pas très explicite. En revanche, les statistiques descriptives de l’échantillon étudié indiquent d’emblée que les établissements exclusifs se situent à 66,67% sur la plaine centre, 86,66% utilisent les modes de stockage les plus modernes (caisse et palox) et 73,33% partagent des informations entre-eux. Alors que les autres établissements considèrent, à 73,33%, que la prime d’incitation au stockage de régulation est trop insuffisante et 35,56% stockent d’autres produits agricoles que la pomme de terre.

2.3. Présentation de la zone d’étude

La zone d’étude a été choisie sur la base de deux critères : a) l’importance de la production de la pomme de terre et b) l’existence d’un besoin en matière de stockage de régulation. De ce fait, nous avons exclu dans la zone d’étude les régions où la production de la pomme de terre est importante mais où le besoin en matière de stockage de régulation est faible. Tels sont les cas des zones du littoral centre et la wilaya de Mostaganem, parce que leur production se fait en extra-primeur et en primeur, et les zones de production tardives tels que les wilayas de Tiaret (Rechaiga) et de Médéa (Berine).

Nous avons donc focalisé notre étude sur une zone connue traditionnellement par la production de la pomme de terre et nous l’avons scindée en deux bassins de production homogènes, que nous avons baptisés : la vallée de Chéliff et la plaine centre.

La vallée de Chéliff est située en nord-ouest de l’Algérie. La production de la pomme de terre dans les wilayas retenues dépasse les 1,4 million de tonnes, soit une part de 30,51% de la production globale. En matière du stockage de régulation, les quantités stockées sont de l’ordre de 115 335 tonnes soit 23,09% des stocks nationaux.

La plaine centre se situe au nord-centre algérien. La production de la pomme de terre dans cette zone est de l’ordre 414 374 tonnes, soit 11,08% de la production nationale. En matière de stockage de régulation, les quantités stockées sont de 106 254,2 tonnes soit 21,26% de la quantité totale stockée au niveau national.

La zone d’étude a fourni plus de 41% de la production nationale en 2015 et a contribué à l’échelle de 44,35% dans le stockage de régulation. En plus, elle détient la concentration (76,09%) la plus importante en matière d’établissements de stockage adhérant dans le Syrpalac.

Le Tableau 4 présente les indicateurs clés de la production et du stockage de la pomme de terre de consommation dans la zone étudiée.

2.4. Le modèle

Nous estimons le modèle à probabilité linéaire (MPL) afin de distinguer 2 catégories d’opérateurs stockeurs (Angrist et al., 2008). L’avantage du modèle MPL est qu’il est simple à mettre en place (Cibois, 1999 ; Feridun, 2004) et qu’il permet une meilleure estimation des paramètres que le modèle logit (Caudill, 1988). Les deux catégories sont :

– Les établissements impliqués totalement dans le dispositif Syrpalac, et

– Les établissements qui stockent une partie de leur production dans le cadre de Syrpalac et une partie hors Syrpalac.

Ces deux catégories représentent la variable à expliquer, elles sont codées comme suit :

La probabilité qu’un établissement de stockage soit exclusif au dispositif Syrpalac peut être formulée par l’équation suivante :

K : Le nombre de variables explicatives du modèle ;

Xki : Le vecteur des variables explicatives ;

βki : Le vecteur des paramètres Xki;

εi : Le terme d’erreur, qui représente les éléments non contrôlés.

3. Résultats, discussion et implication politique

3.1. Résultats

Nous utilisons R pour déterminer les facteurs qui influences le plus la décision d’implication des établissements de stockage dans le dispositif Syrpalac. Vue le nombre important des variables de contrôle, ce travail passe par une procédure de sélection dont le but est de ne retenir que les variables statistiquement significatives tout en préservant la robustesse du modèle.

3.1.1. Sélection des variables

Pour alléger notre modèle, nous avons procédé, sous R, à la sélection des variables explicatives les plus pertinentes par la méthode pas-à-pas descendante (stepwise).

Les résultats obtenus (Tableau 5) montrent que les variables qui influencent le plus l’implication des établissements de stockage dans le dispositif Syrpalac sont hétérogènes. Nous distinguons des variables économiques, géographiques, techniques, liées aux incitations et aux exigences et des variables liées à la relation des opérateurs stockeurs avec leur environnement institutionnel.

3.1.2. Résultats de la régression

Les résultats de la régression sont présentés dans le Tableau 6 plus bas. Pour le calcul des coefficients du modèle nous avons corrigé les effets des hétéroscédasticités par les estimateurs robustes à l’hétéroscédasticité (HC : heteroskedasticity consistent) (Kleiber et Zeileis, 2008) que nous avons validé par le test de Wald (Wooldridge, 2002). Nous avons également contrôlé la multi-colinéarité par un test du VIF (Facteur d’inflation de la variance).

Le Tableau 6 représente 2 modèles :

Modèle 1 : Obtenu à partir des variables les plus pertinentes ayant un effet statistiquement significatif, au seuil de 5%, sur la décision d’implication des établissements de stockage dans le dispositif Syrpalac.

Modèle 2 : Représente les variables du modèle 1 plus les variables que nous considérons fortement liées à la décision d’implication des opérateurs stockeurs dans le Syrpalac, à savoir : l’appréciation très insuffisante de la prime de stockage, le partage d’informations entre établissements et la satisfaction de la marge bénéficiaire.

Le Tableau 6 montre que l’estimation des modèles indique que le test F est significatif au seuil de 5%, l’hypothèse nulle selon laquelle tous les coefficients des variables explicatives introduites dans les modèles sont simultanément égaux à zéro est donc rejetée. Le coefficient de détermination R2 est 0,528 et 0,568 pour les modèles 1 et 2 respectivement.

Facteurs économiques

L’augmentation de la capacité de stockage impacte positivement la décision d’implication exclusive des établissements de stockage dans le dispositif Syrpalac. Ce résultat n’est pas tout à fait conforme avec la littérature qui explique que la taille des établissements, lorsqu’elle est considérée comme étant un facteur de richesse, devrait permettre aux opérateurs de prendre plus de risque en stockant d’autres marchandises (Beaud, 2014). Son effet est minime sur des augmentations faibles, pour une extension de 1000 m3 la probabilité d’implication n’augmente que de 0,7%. Sur des variations plus importantes, toutes choses égales par ailleurs, l’augmentation de la capacité de stockage améliore significativement la probabilité d’implication exclusive des établissements de stockage dans le dispositif Syrpalac. Par exemple : l’augmentation de la probabilité d’implication de l’étendu est 34,58%.

La différence de prix, perçue par les établissements de stockage, entre la pomme de terre stockée et la pomme de terre fraîche est un proxy à la qualité de la production (Eltawil et al., 2006) et aux conditions de stockage dans lesquelles elle a été stockée (Tolno et al., 2016). Nos résultats indiquent que la différence de prix perçue par les établissements de stockage est statistiquement très significative mais avec un effet négatif sur leur décision d’implication exclusive dans le Syrpalac. Cette situation peut s’expliquer par la non-conformité de certains établissements aux normes et bonnes pratiques de stockage définies par l’ONILEV (Tableau 3) mais aussi par la possibilité de vendre à des prix intéressants en période de conjoncture et/ou de rupture des stocks en produit frais. A titre d’exemple, au moment des pluies l’accès aux champs est pratiquement impossible.

Dans le même sens, le stockage d’autres produits agricoles que la pomme de terre est statistiquement très significatif mais avec un signe négatif. Cela veut dire que parmi les opérateurs qui stockent hors Syrpalac, les opérateurs qui stockent autres produits sont distincts de ceux qui stockent seulement la pomme de terre. Il est encore moins probable pour ceux-ci d’avoir une implication exclusive dans le Syrpalac. Ce qui est tout à fait rationnel car les établissements de stockage basculent naturellement vers les spéculations qui dégagent plus de valeur ajoutée (Rao et al., 2006). Sachant que les volumes de stockage sous froid sont très limités, cette situation risque de perturber le bon fonctionnement du dispositif. Il se peut qu’il y ait une conversion des capacités de stockage de régulation en stocks autres.

La variable satisfaction de la marge bénéficiaire des établissements de stockage est marginalement significative (P < 10%) mais avec un signe négatif. Selon les établissements enquêtés, le stockage dans le cadre du Syrpalac est déficitaire depuis 2014, pour compenser ce déficit ils diversifient leur activité au détriment d’une implication exclusive dans le dispositif (80% des établissements non-satisfait, Tableau 4). L’incitation financière devrait donc prendre en compte le manque à gagner subi par les établissements impliqués exclusivement dans le Syrpalac.

– acteurs géographiques

Nous constatons que la variable géographique est fortement liée aux arbitrages effectués par les établissements de stockage au seuil de 5%, nos résultats sont conformes avec ceux de la littérature, notamment ceux de (Maître d’Hôtel et al., 2012) qui préconisent aux gouvernements de considérer les facteurs géographique dans la définition des politiques de gestion des instabilités des prix. 

L’appartenance à la vallée de Chéliff augmente la possibilité d’implication des opérateurs stockeurs dans le Syrpalac. Ce qui peut être expliqué par l’importance des superficies de la pomme de terre dans la région, elle fournit plus de 30% des besoins nationaux. Mais aussi par la forte présence de la pomme de terre dans les systèmes culturaux. Il est à noter que la plupart des agriculteurs enquêtés dans la région appliquent une rotation culturale sur deux cultures : la pomme de terre et les céréales alors que la plaine centre est caractérisée par plus de diversification des cultures.

– acteurs techniques

Le choix des variétés résistantes au stockage est statistiquement significatif mais avec un coefficient négatif. Les établissements qui choisissent les variétés résistantes au stockage ont tendance à stocker leur production hors Syrpalac, et que cela constitue une stratégie en soi. Ce résultat montre bien la volonté de certains établissements de stockage de maintenir la liberté d’action sur le marché car ils savent que les variétés spécifiques au stockage maintiennent leur valeur commerciale même sur des périodes relativement longues (Rivero et al., 2003). Comme ils ont l’information sur les quantités stockées, ils attendent l’épuisement des stocks de régulation pour remettre leur marchandise sur le marché et, de ce fait, vendent à des prix plus intéressants.

Le stockage de la pomme de terre en palox est très efficace et permet une meilleure conservation des tubercules. Par contre c’est un investissement colossal et spécifique à la pomme de terre, qui ne peut être amorti que sur plusieurs années. En matière d’implication dans le dispositif Syrpalac, nos résultats indiquent que les établissements qui utilisent le palox comme mode de stockage le plus dominant ont 30,7% de chance de devenir exclusif.

– acteurs liés aux incitations et aux exigences

L’appréciation très insuffisante de la prime de stockage a un effet marginalement significatif au seuil de 10%. Cependant, nous jugeons que la présence de cette variable à un effet négatif sur la décision d’implication des établissements de stockage dans le dispositif Syrpalac car la probabilité que le coefficient reste négatif dépasse les 90%.

Les établissements de stockage qui considèrent que la prime d’incitation financière ne couvre même pas les frais de stockage de la pomme de terre ont tendance à diversifier leur activité. Ce qui est conforme à la littérature sur les stocks tampons (Ayel et al., 2013). Mais risque de démotiver les établissements de stockage adhérant dans le Syrpalac (Gouel, 2013) et de laisser la voix aux stocks de spéculation, connus pour être la principale cause des crises vécues en 2002 et 2014.

– acteurs liés aux interactions entre les con-
tractants

La variable relation des établissements de stockage avec les représentants de l’ONILEV a un effet statistiquement significatif. Cette relation diminue la possibilité d’implication exclusive des opérateurs stockeurs dans le dispositif Syrpalac lorsqu’elle est perçue comme étant une relation moyenne. C’est d’ailleurs ce que nous avons constaté sur le terrain, lorsque les délégués appliquent scrupuleusement les règles exigées par les pouvoirs publics, les établissements de stockage sont agacés et un volume important des disponibilités de stockage serait déclaré non conforme. Le contraire est vrai, une relation basée sur la sensibilisation et l’accompagnement permettra de récupérer les capacités déclassées et de renforcer l’implication des établissements dans le dispositif Syrpalac.

Le partage d’informations entre les établissements de stockage n’a pas un effet statistiquement significatif sur leur décision d’implication. Ce résultat infirme notre intuition de départ qui avait prédit l’existence d’un effet d’interaction susceptible d’impacter les arbitrages des opérateurs stockeurs dans le cadre du contrat incitatif avec les pouvoirs publics.

En revanche, notre enquête a décelé des arrangements informels entre des établissements de stockage, car 36,67% des établissements enquêtés travaillent en collaboration avec d’autres établissements dans le cadre de leur activité de stockage et de leur adhésion dans le Syrpalac et, à présent, aucun comportement collusif ni organisation structurée ne sont créés autour des établissements de stockage.

3.2. Discussion et implication politique

La création du dispositif Syrpalac s’est déroulée dans des conditions de crise et de pression. Son démarrage est effectué dans la précipitation sans avoir suffisamment d’informations sur l’activité de stockage de la pomme de terre. C’est pourquoi, plusieurs paramètres ont été omis. En effet, depuis sa création, le dispositif Syrpalac a subi plusieurs modifications sans pour autant atteindre ses objectifs.

Dans ce contexte de complexité, la mise en œuvre d’un dispositif d’incitation au stockage de régulation nécessite de revenir vers les bases tangibles. Cette étude a mis en évidence la faible implication effective des établissements de stockage dans le dispositif Syrpalac et propose des pistes à considérer par les pouvoirs publics dans le but d’amélioration de ce dispositif.

Un des résultats importants que nous avons montré est que la prime de stockage est considérée comme très insuffisante. Pourtant c’est le facteur central du mécanisme d’incitation du dispositif. Cela affecte directement la faible implication des opérateurs privés. Il est temps de la revoir en collaboration avec le CNIF (Comité National Interprofessionnel de la Filière) pomme de terre afin d’inciter les établissements à plus d’implication dans le Syrpalac.

Un autre résultat est que la mauvaise appréciation sur la valeur de la pomme de terre stockée réduit l’intérêt de choisir le dispositif Sypalac en exclusivité. Cette appréciation est prise en compte via la variable diff.prix qui capte la différence perçue entre le prix de la pomme de terre stockée et celui de la pomme de terre fraîche. C’est naturellement un désavantage des produits stockés mais nous suggérons à l’autorité de régulation d’inciter les établissements de stockage à apporter une valeur ajoutée à leur marchandise, à travers des mesures tels que : le calibrage, le lavage et le conditionnement sous différents emballages. Sans cela, le cumul des « désintérêts » sera grand et pourra conduire à un échec de la politique.

Le reste des résultats nous permet de formuler les recommandations suivantes :

– ncourager les établissements à utiliser le palox comme moyen de stockage. La difficulté est toutefois que cet actif est difficilement redéployable sur d’autres produits agricoles. L’investissement demande un engagement fort.

– ccompagner les établissements diversifiés par des journées de sensibilisation, en leur expliquant les apports socioéconomiques du Syrpalac et ceux que peu leur procurer la stabilité des prix de la pomme de terre. Cela permet d’améliorer les relations entre l’autorité publique et les organismes stockeurs : une variable signifiante dans notre régression. Une meilleure relation va augmenter leur taux d’implication dans le dispositif Syrpalac.

– aintenir un registre des établissements opportunistes, pour ne plus les impliquer dans la constitution des stocks de régulation.

4. Conclusion

Nous avons travaillé sur les facteurs d’implication des opérateurs privés dans le dispositif Syrpalac. Ce dernier est au cœur de la politique de régulation du marché de pomme de terre en Algérie. Notre recherche montre que les facteurs déterminant l’implication des établissements sont multidimensionnels. Ils sont d’origines socio-économiques, géographiques et techniques. Ils sont liés aux incitations et aux exigences et des facteurs liés aux interactions institutionnelles entre les contractants.

Les établissements qui détiennent des volumes de stockage importants, ceux qui utilisent le palox comme moyen de stockage et ceux qui se situent dans des zones à forte production où il y a un besoin en stockage de régulation sont favorables à une implication exclusive dans le Syrpalac. En revanche, la mauvaise appréciation de la prime ainsi que la perte de valeur économique des pommes de terre stockées impactent négativement le choix d’adhésion.

En termes de recommandation politique, il est nécessaire de sensibiliser les établissements diversifiés et d’accompagner les établissements non-conformes aux normes et aux bonnes pratiques de stockage ; de maintenir un registre des établissements qui ont manifesté un comportement opportuniste pour les exclure systématiquement du dispositif ; et de revoir à la hausse la valeur de la prime de stockage, en prenant en compte le manque à gagner assumé par les établissements exclusifs.

Il est nécessaire également d’agir sur les interactions entre établissements de stockage et leur environnement institutionnel. Le maintien d’une relation strictement professionnelle entre l’autorité de régulation et les établissements de stockage inhibe leur implication exclusive dans le Syrpalac. Il y un donc une nécessité d’améliorer la qualité de cette relation.

Références

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